( â—Ž Texte Ă  l'Ă©tat d'Ă©bauche, 2018 )

J'ai mené une étude sur les pratiques artistiques qui jouent avec le "Hacker feeling" dans leurs narrations spéculatives. Je me suis demandé ce qu'il reste de l'utopie d'un Internet libre, des cyberespaces investis par les hippies aux début d'Internet. Des espaces d'une autre médiation, pensés en scission politique avec les gouvernements_étatiques. J'ai voulu questionner ma propre sensibilité relationnelle_empathique qui parfois me rend si intrusif, perméable et touché par l'Autre. Comment se séparer de ce lointain si proche ? Comment sortir d'un réseau ami-ennemi ? ( y accéder selon, du dedans ou du dehors ) Où vivre l'utopie quand toute notre Culture et modalités d'existences sont toutes régies par un esprit du Capitalisme ? Un régime de production surveillant, un rêve d'ingénieurs celui d'un réseau ambiant, permanent, hégémonique, totalitaire sinon englobant. Quelle extrémités, quelles marges qui ne restent exploitées ? Quelles alternatives de gouvernances promises par certains pionniers d'Internet ? Comment faire scission d'avec les lois établies ? Comment penser la barbarie, l'inhumain, l'ombre en soi et chez l'autre ? Quel rapport entretenons nous avec nos émotions refoulées, tues ou interdites à l'expression publique_politique ? Quels existence pour les sub(alterns)cultures ? les pratiques déviantes libres ? Quel traitement des différences et des folies ? Quel regard portons nous sur ces mondes cachés, ……les externalités de production, ……les marges quelles qu'elles soient, ……les banlieues, ……les réseaux informels, ……les communautés autarciques, ……les clubs d'initiés, ……les cellules d'entre soi, ……ces bulles, ces filtres, ……ces réseaux privés auto-régulés qui fabriquent leurs propres langages, leurs CGU et modalités du secret, leur propre design, leurs limites. Comment explorer ce qui manque au savoir, à nos cartographies contemporaines ? Les arts entretiennent un rapport parfois limite, leur rôle est bien de les déplacer, jusqu'à l'outrage au moins. Le rapport aux lois-conventions, leur dépassement est un poncif en art. Ce qui importe ce sont les lignes déplacées l'efficacité disruptive de ces pratiques à former-donner du sens, à proposer des contre-vérités. Trop souvent les arts semblent hors sol de la vie sociale, encapsulés dans des réseaux satisfaits et réservés à une classe Culturelle. La technique entant que savoir-faire s'expose entant que prouesse. Et si elle n'est pas dépassée on en retient ce génie à faire ou à être. Souvent j'ai le sentiment que pour faire de l'art politique --il faut rapporter un bout d'autre monde. --Une altérité au public, lui faire explorer. ( Les artistes, volent, pillent, glanent, s’inspirent, détournent ) ( s'emparent, prêtent, actualisent, rendent contemporain ) En racontant_rapportant des réalités invisibles,-- dé-médiatisées, retenues comme existantes par leurs usagers d'origine, par des corps de métiers, des branches expertes, aillant propriété sur le savoir de leur production, --en faisant fuiter le réel, en détournant les usages normatifs, contraints spécialisés, ils participent à comprendre d'autres Umwelten, le regard d'autres mondes, subjectifs par leur technique et finitudes. ---- La démocratisation des moyens de production et de diffusion nous donnent aujourd'hui plus que jamais, à nous, individus divisés, les moyens de performer par nous même notre mise en forme. Une pratique auto-design, d'extraversion de soi-même qui ont destitué l'artiste de sa place d'excentrique faisant de sa vie une œuvre d'art. À ce monde de sur-représentation de l'individu-- ……les enclouures ……les replis numériques, ……la retenue, ……le silence, sont autant de moyens de résistance pour légitimer une écologie décroissante dans laquelle l'attention à soi et à l'autre nécessitent la confection d'un monde à soi intérieur riche. Un rapport à soi porté plutôt à cultiver un ésotérisme individuel à la recherche d'une certaine honnêteté et compréhension de ses propres zones d'ombre et vulnérabilités qui-- ont besoin d'espaces protégés, pour être appréhendés et cultivés sans crainte d'une attaque extérieure. Un ésotérisme qui a besoin, comme [[--toute minorité opprimée, tout groupe maquisard_dicsident, toute communauté religieuse, tout organe avant-garde,--]] de se maintenir en dehors du monde [[--de son rythme, de ses préjugés, de ses principes d'équivalence et d'évaluation,--]] pour exister sans être opprimé ou intégré. Les raves_party autant que les safe_zones-- sont des stratégies d'occupations temporaires-- des ruses de rupture-- permettant de mobiliser des forces-- et d'expérimenter des modalités d’existence autrement contraintes. Des zones d'autonomie plus ou moins temporaires-- qui dans ces deux exemples sont de natures différentes-- mais répondent à un même besoin de produire des espaces protégés, dans le but de produire-- [[--des savoirs, des affectes, des logiciels d'attaque et de défense--]] ou encore d'assouvir et découvrir des besoins dans un régime hédoniste-- permanentant à l'individu libéral_libertaire contestable de s’épanouir, de jouir de son existence sans entrave, selon des règles nouvelles instaurées dans un temps donné par une communauté d'amis proches, dans un espace/temps_milieu propice, [[--auto-médiatisé, auto-géré : œuvre de sa propre image.--]] ---- J'ai voulu penser les zones d'ombre, les parties immergées de l'iceberg d'Internet, avec cette hypothèse que le cerveau monde*, cette immense bibliothèque qu'est Internet (et autres extra_intra-nets), aussi pour penser ce que ce tout_extérieur, ce tout_accessible, produit sur nous, nos intériorités, nos psychés. Comment les arts contre-culturels, milieux de l'expression de pratiques minoritaires ou interdites, se voient transformées dans l'expression du scandaleux, du hors-norme. Comment aussi bien dans un espace d'exposition semi-public, exposer l'outrage ? La démesure ? La folie ? Comment, exposer et s'exposer sans sois-même être atteint·e ? Comment, si ce n'est en utilisant des protocoles de mise en garde, de séparation, de confinement, se tenir à bonne distance de ce qui me manipule quand bien même je ne me présent pas sujet à son action ? Comment toujours différencier de l'expérience du savoir de celle du vécu ? Comment légitimer une recherche ou questionnement sur un sujet tabou, comment toujours réaffirmer que comprendre-- n'est pas adhérer ou soutenir ? ( mais chercher à saisir les gestes d'une pensée adverse ) Comment faire cette pédagogie d'une perméabilité à l'autre où le jugement préventif est contre-productif ? Comment s'ouvrir à l'adversité et ainsi apprendre à aimer ? ---- En réfléchissant les notions de seuil (sensibilité, trouble social, distance_proxemie), de libertés individuelles et collectives face à la justice, le sujet des darknets m'a amené à penser plusieurs formes radicales d'anarchisme. Le crypto-anarchisme dont on connait les valeurs-- – portées vers une horizontalité de gouvernementailité (PZP, F2F, P3P), – de neutralité dans le transport des informations en réseau, – les monnaies numériques décentralisées (bitcoins, alt-coins, smart-contracts), – l'anonymat et le respect de la vie privée numérique des individus dont le droit à l'oubli --côtoient sur les darknets (en imaginaire du moins) --les libertariens d'un libéralisme effréné donnant plein pouvoir aux individus. Aussi ces réseaux_logiciels_protocoles tendent chacun à inventer le web et l'internet 3.0 alors que d'autres tendent d'imaginer des espaces hors de toute connectivité au profit d'un autre relationnel au temps et à l'information du monde. D'autres intra-nets sont possibles, d'autres pirates box et zones blanches, maquis ou underground distants une bonne fois pour toutes des surveillances et contrôles sur les individus. Ce que font les artistes avec ces outils numériques novateurs, qu'on les appelle darknets ou réseaux cryptés, renseigne sur notre perception collective de ces objets relationnels et la façon dont ils créent des contres pouvoirs. Ces œuvres mises en lien au sein d'un corpus offrent un support réflexif et introductif à des notions d'informatiques fondamentales. Elles m'ont aidé à moi-même comprendre l'urgence d'une contre-offensive au -- ''capitalisme par la surveillance'' ou dit ''cognitif''. Elles m'ont permis de découvrir un folklore numérique contemporain, nourris de mythes, de fausses informations, de rumeurs, de mèmes populaires, où se mêle volontiers dans l'anonymat de réputation les thèses conspirationnistes à une certaine métaphysique ésotérique qui trouve dans ces espaces en creux une certaine crédibilité fictionnelle pour s'exprimer contre notre monde scientiste, cartésien, sérieux. Ces espaces qui échappent aux regards et à l'indexation entretiennent dans la peur d'une infocalypse par laquelle l’absence d'origine, de filiation, et donc de résolution d'enquête mène inéluctablement au chaos-- avec cette thèse terrible que l'homme est un loup pour l'homme, d'où découle la nécessité d'organes directeurs monopolisant les pouvoirs pour maintenir l'ordre au sein de populations négligées. Exposer ces mondes d'ombre, ces parties immergées de l'iceberg, ces amas de données et dark-datas, procède d'une volonté exploratoire, curieuse, dans laquelle le sentiment de lointain en réseau est augmenté. Pour atteindre les DNS occultés, les webs autrement inaccessibles les darknets complexifient la façon dont nos ordinateurs --clients_serveurs se répondent, se joignent, tout en mettant à distance un tiers observant. Les connexions sont encapsulées, couches par couches, les intermédiaires brouillent l'identité réelle d'un ordinateur, en dissimulant sa réelle origine les données sont cryptées... Ces réseaux mettent à distance, protègent leurs usagers d'une possible intrusion, d'un certain type d'enquête en cours ou à venir et donnent du pouvoir d'agir contre un adversaire sans pour autant s'y confronter et jouer sa vie contre lui. Ces outils servent à des criminels autant qu'à des citoyens nés dans des pays où liberté d'expression est bafouée, à des pédophiles, à des entrepreneurs, des chefs d'état qui tendent à garder un pouvoir stratégique par le secret. S’intéresser aux moyens de l'art du secret, à la cryptographie, c'est aussi penser par ces outils la radicalité de la propriété comme fondemant dans un monde de prédation. Ces outils sont ad-hoc à ce monde. Ils répondent à des impératifs de survie au sein d'un système concurentiel. Retour Intentions